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Préface

 

Avant même que d’avoir lu le premier numéro de la série Mawaqif de Mohamed Abed al-Jabri, nous avions la certitude d’y trouver un contenu différent de celui des « confessions » et autres « mémoires » d’anciens flics et de non moins ancien détenus, dont les titres couvrent depuis quelque temps les étalages des kiosques à travers le pays.

La lecture n’allait pas décevoir.

En effet, et outre l’heureuse absence du caractère plaintif de la plupart des autres écrits se voulant similaires, le texte de al-Jabri s’est révélé être d’une étonnante richesse — richesse historique, certes, mais philosophique surtout. Plus encore, ayant eu auparavant le privilège de travailler sur d’autres œuvres du penseur marocain, nous nous étonnâmes de découvrir dans Mawaqif, pourtant présenté par son auteur comme étant un simple compte rendu méditatif, un écho des autres écrits, beaucoup plus « savants » de al-Jabri.

A mesure que nous avancions dans la lecture, cette impression se précisait. A dessein ou non, l’auteur, qui insiste d’ailleurs, dès l’introduction, sur la distinction à faire entre « histoire-connaissance » et « histoire-réalité », mêle les deux, dosant savamment l’une et l’autre. Le travail de l’historien que la nature même du sujet imposait, se trouvait ainsi soumis au tamis de l’esprit analytique qu’un al-Jabri n’aurait de toute façon pu abjurer ni écarter de sa ligne de pensée. Le résultat est, sans jeu de mots, un délicat mets historique, à consommer sans modération aucune.

En retraçant ses parcours politique et culturel, l’auteur nous livre un travail qui participe de sa vision philosophique et de sa conception de l’homme et de l’histoire. L’auteur de Critique de la raison arabe (CRA) se retrouve dans l’œuvre historique. La problématique de la pensée arabo-islamique s’y trouve posée, avec la même façon d’aborder cet héritage, de l’analyser, d’y relever les obstacles au progrès. Entre l’expérience politique de l’homme-militant et celle, philosophique, de l’homme-penseur, le lien est étonnamment étroit.

Mais ce qui frappe davantage, c’est de constater la ressemblance entre les textes -articles et commentaires politiques- écrits voici près d’un demi siècle, et les tomes de la CRA, rédigés beaucoup plus tard. Dans les uns comme dans les autres, transparaît la personnalité particulière de l’auteur : celle du philosophe chez qui l’engagement réel dans la vie politique, culturelle et sociale du monde arabo-islamique, va de pair avec la distance que le penseur doit prendre vis-à-vis de son objet. Comme dans la CRA, le militant subsume le philosophe. A n’en point douter, al-Jabri de la CRA est né bien avant son œuvre majeure.

Or, un mets délicat ne se consommant pas en solitaire -« ne mange seul que le tambour », dit la sagesse populaire- il fallait songer à faire partager ce trésor au lectorat francophone.

Voilà pourquoi nous eûmes l’idée de traduire en français la série Mawaqif. Et c’est avec une joie et une fierté immenses que nous en présentons la traduction au lectorat francophone à l’intérieur comme à l’extérieur du Maroc.

CERCOS, Tétouan 2003